PROGRAMME DU CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE :

80 ANS APRÈS, L’ESPRIT DE LA RÉSISTANCE TOUJOURS D’ACTUALITÉ !!

Alain Henckel, Ollioulais, vice-président de l’Institut de l’Histoire Sociale de la CGT du Var

En 1936, le Front populaire avait été une réponse à la crise sociale, économique, mais aussi morale et culturelle de la France au début des années 1930. L’unité d’action des partis communiste et socialiste, rejoints par le parti radical et la réunification syndicale avaient permis de renverser le cours de l’évolution politique et sociale engagée par les forces de droite. En réponse à la marginalisation économique et culturelle des classes populaires, le Front populaire avait été l’occasion pour les ouvriers de faire irruption sur la scène publique, d’y prendre leur place. En 1936, l’engagement massif des salariés dans les grèves, comme dans les manifestations, témoignait d’une forte politisation associant antifascisme et revendication sociale.

Mais la démocratisation amorcée par l’action conjointe du mouvement populaire et du gouvernement était très vite retombée : réformes abandonnées, spectre de la guerre, politique à l’égard de l’Espagne républicaine, retour des forces conservatrices aboutissant à la mise en place d’un régime de revanche sociale et de réaction.

Dans la nuit de l’occupation, pendant plusieurs mois, des résistants se réunirent, au péril de leur vie, en vue de rédiger un programme destiné à définir un plan d’action immédiate et la politique de la France au lendemain de sa libération, en ayant présents à l’esprit ces évènements qui avaient marqué la politique de leur pays depuis une décennie, en cela le programme du CNR porte la marque du Front populaire. La première réunion du Conseil de la Résistance (il deviendra National en novembre 1943) a lieu le 27 mai 1943, au 48 rue du Four, à Paris, en présence de Jean Moulin qui en sera le premier président, avant d’être arrêté par la gestapo le 21 juin.

Jean Moulin

Affreusement torturé par Klaus Barbie, Jean Moulin meurt le 8 juillet dans le train qui l’emmenait en Allemagne pour y être à nouveau interrogé. Participent à la réunion les représentants des mouvements de résistance, des syndicats (la CGT, réunifiée en avril 1943 et la CFTC), mais aussi des partis et tendances politiques (partis socialiste, radical, communiste, Démocrates populaires, Alliance démocratique et Fédération républicaine), tous en lutte contre le régime de Vichy et l’occupant nazi.

Le programme est adopté à l’unanimité des membres du CNR le 15 mars 1944, après neuf mois de discussions et cinq projets étudiés. Il est diffusé dans la clandestinité de manière multiforme, reproduit en tout ou partie dans des feuilles ou journaux clandestins. En mai 1944, deux journaux clandestins (Action et Libération) le reproduisent en intégralité. Il est également diffusé sous forme de tracts, option choisie notamment par le Parti Communiste qui publie en mai 1944 une feuille intitulée “La parti communiste français présente le programme d’action de la Résistance au peuple de France”. Mais c’est “Libération-Sud” qui diffuse l’édition la plus célèbre du texte. En mai 1944, au nez et à la barbe des nazis et des représentants de Vichy, le mouvement de résistance fait tirer à l’imprimerie Lions et Azzaro de Toulon 200 000 brochures du programme avec en page de garde le titre choisi par le responsable à la propagande de Libération-Sud : “Les jours heureux par le CNR”. C’est sous ce titre que le programme du CNR sera connu.

La décision de se doter d’un texte qui constitue une “feuille de route” pour la suite des évènements est née de deux nécessités. D’abord s’organiser face à l’intensification des activités de résistance liée notamment à l’afflux des réfractaires au Service du Travail Obligatoire dans les maquis et à l’intensification de la répression. Ensuite, prendre en compte les débats de l’Assemblée constituante mise en place à Alger en novembre 1943 qui travaille aussi sur le devenir du pays au lendemain de la guerre.

La première partie du programme (la plus longue et la moins connue) marque la victoire des partisans de l’action immédiate et multiforme sur le sol français et de la recherche de l’élargissement des assises populaires de la résistance. A l’époque, c’est pour certains la partie la plus importante. Les dirigeants de la résistance savaient, sans en connaître la date et le lieu, que le débarquement des alliés aurait lieu en 1944. Il fallait donc intensifier le combat pour affaiblir l’ennemi et préparer la libération nationale qui, selon la formule de De Gaulle, était inséparable de l’insurrection nationale. C’était la condition du succès militaire et du succès politique national, la preuve de l’efficacité des FFI et la force du soulèvement populaire assurant les meilleures garanties d’indépendance du pays menacé par l’AMGOT (objectif américain de faire administrer la France par des officiers supérieurs américains s’appuyant pour l’essentiel sur l’appareil d’Etat de Vichy- Le gouvernement américain avait déjà imprimé les billets de banque pour la France sans aucune autorisation du gouvernement provisoire)

La deuxième partie annonce les mesures politiques, économiques et sociales qui régiront l’organisation du pays libéré. Etant donné les différences, voire les divergences souvent importantes, parmi le large éventail politique représenté, le programme du CNR est un compromis qui a permis de satisfaire à la règle obligatoire du CNR, à savoir l’unanimité dans les décisions. Mais un compromis avec une base claire : celle d’un rassemblement à dominante populaire et antimonopoliste devant engager un processus de réformes économiques et sociales profondes.

C’est sur la base de ce programme que le visage de la France changea radicalement après la libération. Si l’on a longtemps parlé et aujourd’hui encore de “l’exception française”, du “modèle social français”, c’est parce que notre système social est issu de ce texte fondateur: Création de la sécurité sociale qui doit permettre à chacun de cotiser selon ses moyens et d’être soigné selon ses besoins – Versement d’une retraite décente, après une vie de labeur, aux personnes âgées – Démocratisation de la vie des entreprises avec un rôle reconnu pour les syndicats – Mise en place pour les citoyens d’un vrai service public, digne de ce nom, comme d’une vraie fonction publique avec un personnel protégé par un statut – Construction d’une presse libre indépendante à l’égard des puissances d’argent (pour un hebdomadaire ou un quotidien: “nul ne peut exercer les fonctions de directeur ou de directeur délégué accessoirement à une autre fonction soit commerciale, soit industrielle qui constitue la source principale de ses revenus et de ses bénéfices“) – Mise à l’écart des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie, retour à la Nation des grands moyens de production (énergie, sous-sol, transports) et de financement (Banque de France et “seulement” quatre grandes banques) – garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité et la dignité, acquis démocratiques comme la liberté de conscience et d’expression, liberté d’association, de réunion et de manifestation ……………..

Il faut rappeler que le droit de vote et d’éligibilité des femmes n’était pas prévu dans le programme du CNR. La décision d’un droit de vote réellement universel est prise à Alger par le Comité français de la Libération. C’est le 21 avril 1944 qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire officialise dans les textes ce droit : “Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes”.

Le programme inspirera l’action du gouvernement provisoire et le préambule de la constitution de 1946: “tout bien, toute entreprise dont l’exploitation acquiert le caractère d’un service public ou de monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité”. Pourtant, tout ne va pas couler de source ! L’histoire de l’après libération, si elle est marquée par des avancées notables, est aussi marquée par certaines lenteurs, hésitations, voire par des reniements de certains signataires du programme du CNR. Ce qui conduit le bureau confédéral de la CGT à s’adresser aux membres du CNR dès le 7 juillet 1944 pour rappeler les engagements pris et attirer leur attention sur “quelques questions de principe de la plus haute importance pour la classe ouvrière“…. Au premier congrès de la CGT PTT de la région parisienne, le 21 octobre 1944, une résolution appelle les postiers à “la plus grande vigilance, l’union et l’action…….. pour faire appliquer les mesures adoptées par le CNR”

Les mesures contenues dans le programme du CNR, même adoptées à l’unanimité, ont été très rapidement et constamment remises en cause. Dès la fin de la guerre les forces de droite ont repris l’offensive, les débuts de “la guerre froide” ont rompu les alliances de la guerre contre le fascisme. Une vague d’anticommunisme a déferlé sur le monde et sur notre pays en particulier, jugé point sensible des pays occidentaux. La CGT a subi la scission de Force Ouvrière. Tout cela a grandement affaibli le mouvement ouvrier et facilité la revanche de la droite et du patronat. Dès la fin des années 40, les attaques ont commencé pour remettre en cause les avancées obtenues. Durant les décennies suivantes, sécurité sociale, régimes de retraite, droits et statuts des travailleurs, nationalisations, etc…. subiront les assauts du patronat, de la droite et des réformistes. Mais les reculs infligés ne suffisent pas aux “néolibéraux”. Ainsi, en 2007, Denis Kessler, vice-président du MEDEF, dira tout haut et cyniquement ce que nombre de ses amis pensent depuis longtemps. Dans un éditorial de “Challenge” du 4/10/2007, intitulé “Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde“, il écrit : “Le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.…. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance !”

Et il faut bien avouer, malheureusement, que les gouvernements successifs s’y sont employés avec ardeur et zèle, notamment depuis la présidence de Sarkozy.

Le résistant Raymond Aubrac, avait déclaré à l’occasion du 60° anniversaire du CNR, en 2004 : “dans une civilisation qui distribue quotidiennement aux citoyens la peur du lendemain, on se doit de reformuler quelques grandes perspectives fussent-elles utopistes, afin de sortir de l’accablement qui fait accepter n’importe quoi à la société”

Et les utopies d’aujourd’hui peuvent être les réalisations de demain !

La crise actuelle du capitalisme a des effets désastreux. On sait que pour sortir de ses crises, le capitalisme détruit du capital, qu’il soit matériel (entreprises fermées ou mises en sommeil, réduction de productions…) ou qu’il soit du capital humain (chômage massif, précarité généralisée, baisse du pouvoir d’achat, surexploitation du travail…), n’hésitant pas à recourir au fascisme, à la guerre. Les travailleurs en paient toujours le prix fort. Mais une autre sortie est possible en misant au contraire sur tout ce qui peut valoriser le travail humain, l’esprit de responsabilité, tout ce qui peut développer la démocratie, notamment sur le plan économique, accroître le pouvoir d’achat. De ce point de vue, le programme du CNR reste d’une actualité brûlante.

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