Conversation avec Marcelle

Marcelle est une amie d’enfance de mon papa. Cela faisait longtemps que je rêvais de cette conversation avec elle. Son témoignage sur la vie dans nos campagnes depuis les années 30 est précieux. Tout au moins aux yeux de ceux qui aiment se plonger dans le passé et la mémoire de nos anciens. Marcelle a écrit un livre qu’elle n’a pas fait éditer mais qui est vraiment intéressant ! Une mine d’or sur la vie dans nos campagne, la découverte d’une vie, celle de Marcelle qui a traversé le XXe siècle avec un courage, une honnêteté, une sensibilité incroyables. Un hymne à la vie ! Partager ce moment avec Le Débatteur et animer nos cœurs sur le temps passé est un petit moment de bonheur pour elle et moi qui l’écoute.

Bonjour Marcelle,

Aujourd’hui, nous allons parler de toi, du Beausset-Vieux, d’Ollioules et de nos familles respectives.

J’entends encore ton père chanter à haute voix. Moi, j’étais à Ollioules et on était monté avec le catéchisme. Lui, il était dans les hauteurs et chantait :

« Chantons à haute voix … »

Et je me suis dit : « Il chante aussi bien que moi ! »

Peux-tu nous expliquer ce que nous avions en commun, ta famille et celle de mon papa ?

Nous étions deux familles, au Beausset-Vieux, la famille Zunino et la famille Clavel et à tour de rôle, tous les ans, tous les deux ans, un enfant naissait dans chacune d’elles. Les deux familles étaient amies mais ne se fréquentaient pas. Chacun chez soi.

Mon grand-père, Fernand Zunino, était agriculteur, viticulteur aussi. Il avait des vignes. N’a-t-il pas été conseiller municipal au Beausset ?

En effet. C’était un homme comme ça ! L’argent allait à sa famille. Didi (Lydie) était l’aînée. Elle cousait, faisait des robes à ses sœurs qui étaient toujours bien habillées. Quand elles allaient au Beausset, elles avaient toutes la robe neuve. Germaine aussi cousait.

Les deux plus âgées.

Il y avait Séraphin. L’aîné des garçons. Séraphin a l’âge de ma sœur aînée. A l’école ils se faisaient la bourre. Un coup lui, un coup ma sœur la première. Je parle de l’école de la Migoua ! Tu la connais ?

Je l’ai vue. C’est maintenant une maison habitée. Elle a été rénovée.

Passé un temps, c’était une brocante. Je passais là, chaque fois que j’avais l’occasion d’aller chez ma cousine qui habite à côté du moulin à huile de mon grand-père. Quand je suis allée à cette école, j’avais cinq ans.

On commençait à cinq ans l’école, alors. Pas avant. Et on allait jusqu’au certificat d’étude ?

Jusqu’au certificat d’étude, oui. Mon mari a passé son certificat d’étude, là-haut, avec mon frère aîné. Ils avaient le même âge tous les deux.

Vous êtes tous du Beausset-Vieux, ton mari aussi ?

Dans ma famille, on n’est pas né au Beausset-Vieux mais au Val d’Aran.

Entre temps j’ai quitté cette école. Il est venu pas mal de fermiers dans les grandes fermes. Et il y a eu jusque vingt-huit enfants. Mais là, je n’y étais plus. On m’enlevait facilement de l’école. Il y avait beaucoup de travail à la maison et à la campagne. Mon père était paysan, jardinier. Mon grand-père lui a laissé toutes les terres. Il avait quatre cents oliviers.

Mon père a écrit qu’à l’école de La Migoua, il alimentait le poêle.

Oui, ça c’est vrai. Tous les jours, à tour de rôle, on allait chercher le bois. On trouvait des morceaux de bois. On arrivait. On allumait le poêle. Parfois c’était plusieurs fois le même car ils étaient près, eux (les enfants Zunino). Nous, on habitait en bas, au Val d’Aran. Eux, ils n’avaient qu’à wouuuuf ! Une dégringolade et ils y étaient !

Un jour, j’ai rencontré ton père à Ollioules et on a parlé de notre jeunesse, quand on allait au Beausset. On allait au cinéma l’hiver. On sortait de nuit du cinéma et on remontait. Après, eux les Zunino, ils étaient plusieurs (moi j’étais avec mon frère). Pour descendre, il fallait traverser la colline. Quand je racontais à mes amis que pour aller au cinéma, je faisais six kilomètres ils me répondaient : « Bon Dieu, moi, je n’y serais pas allé ! » Mais quand tu travailles toute la semaine et qu’il faut encore rester à la maison ! Et bien, nous, on y allait !

Vous aviez toujours le même instituteur à La Migoua ?

Ça changeait. C’était souvent des institutrices.On avait parfois sympathisé avec certains. Une fois, une, nous avait invités à manger à Toulon. C’était une grande sortie.

L’autre jour tu m’as raconté les fêtes que vous faisiez entre jeunes ?

Alors là ! C’était chez la grand-mère Giraud.

La grand-mère Giraud du côté de mon papa ?

De sa maman ! C’était la maman de ta grand-mère Titine.

Oui, je ne savais pas qu’on l’appelait Titine. Elle s’appelait Augustine. Et mon grand-père, Fernand. Alors vous alliez chez la grand-mère Giraud ?

La maison de la mère de Titine, l’arrière grand-mère Giraud, photo année 2021

Oui, la maison était fermée alors on faisait le réveillon. On était libre ! Mon Dieu, on était heureux ! Chacun portait quelque chose ! Qui le lapin, qui les petits oiseaux ! On se le faisait cuire ! On nous donnait rien de cuit ! Maintenant les jeunes, ils ont tout ! Ils ont même les sous pour aller au restaurant pour le réveillon ! En bas, il y avait la vache ! Et nous, en haut, comme il y avait la cheminée et qu’elle fumait, on ouvrait la fenêtre ! Et pour faire des courants d’air on ouvrait la porte et l’odeur de la vache, elle montait ! Pas assez de la fumée qui nous piquait les yeux, il y avait encore l’odeur de la vache ! Mais on était heureux ! ON ÉTAIT HEUREUX ! Et le bonheur, tu sais, ça tient pas à grand-chose ! On mangeait ensemble, on chantait, on dansait ! Oh ! Mon Dieu ! Qu’on était heureux !

Et mon papa, je sais qu’il dansait très bien !

Oui ! Mais là, on débutait !

Avec Nanie et Denise on s’entendait très bien (sœurs de mon père). Avec Nanie (Anaïs) c’était comme les doigts de la main. Elle avait un an de moins que moi. Quand on se voyait nous étions contentes parce qu’on est allé à l’école ensemble. On sortait tous les dimanches avec ses frères et sœurs. Il y avait Élie, Ieu (mon père), Germaine. J’ai une photo ! Il y a même Maryse qui n’est pas plus haute que ça ! Et le soir quand on sortait du cinéma on faisait tout ce chemin ! Tu te rends compte, descendre jusqu’en bas derrière, chez nous ! Eux (les Zunino) c’était moins loin, mais nous ! Tu connais le quartier en haut ?

Seulement vers La Migoua. On s’y promène tous les ans là où ils habitaient et je me dis à chaque fois que dans ce vieux mas, ils sont nés tous les dix ?! Elle n’allait pas à la clinique ma grand-mère ?

Tu rigoles ! Ma mère, elle en a eu dix à la maison ! Il y avait une voisine ou entre temps était arrivé le docteur… ou pas. Ma mère, combien elle en a eu comme ça sans le docteur ! Quand ma mère a accouché de ma sœur aînée, le docteur était encore à La Ciotat. Mon père est parti avec le cheval chercher le docteur à La Ciotat. Quand il est arrivé, ma sœur était déjà emmaillotée. C’était comme ça dans les campagnes. On se débrouillait. Puis mes parents se sont séparés et ma mère est allée habiter à Ollioules et elle est allée travailler dans les jardins. Elle n’avait pas de pension. Elle n’avait rien.

Il y avait beaucoup de fleurs à Ollioules ?

Oui, avant à Ollioules, il y avait les expéditions et il y avait les jardins où il fallait cueillir, trier les fleurs et puis les empaqueter. Je vais te chercher la photo de ma mère. Voilà ma petite maman.

Quelle est mignonne !

Oh oui ! Et dix enfants ! Et toute attentionnée pour ses enfants ! Pendant la guerre, qu’est ce que je l’ai remontée ! On n’avait rien à manger, rien à se mettre ! Et moi, j’en faisais tant que je pouvais !

Le soir à la veillée, et raccommode et raccommode ! Et aller ! Alors je raccommodais le linge, va pour un, le lendemain je le lavais et le surlendemain je lavais le reste et ainsi de suite. On était obligé de faire comme ça, on n’avait rien pour se changer. Moi, je dis à treize ans j’étais mère de famille. Derrière moi y en avait cinq !

C’est ce que Didi et Germaine (mes tantes) ont dû faire aussi. Elles les ont aussi élevés finalement.

Moi, maman, elle faisait ce qu’elle pouvait mais elle était toujours au jardin. Comment voulais-tu qu’elle fasse ? Moi, j’étais à la maison, je faisais. Mais je regrette pas. Ils avaient besoin de moi, j’ai fait. Voilà ! (regardant la photo) C’est à la campagne ! Oh,ma petite mère !

Mes parents avaient gagné le prix Cognacq-Jay *. Tu sais ce que c’est ?

Non

C’est une famille qui avait une grande fortune et qui l’avait laissée pour les familles nombreuses. Et nous en tant que famille nombreuse en décembre 1938, on a reçu le prix. Et mon père a arrangé la maison avec.

Ta maman, elle a quand même passé de bons vieux jours avec toi !

J’avais soixante cinq ans quand elle est morte. J’en ai bien profité. Elle est morte à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Je suis contente, elle a bien vieillie. On l’a choyée. Elle allait chez mes sœurs et quand ça été mon tour, elle est venue chez moi et quelques jours après elle a eu une hémiplégie. On l’a soignée mais elle est restée chez moi. Et finalement elle est morte chez moi. Et elle disait toujours qu’elle voulait mourir chez moi. J’ai compté, cent mois enceinte, pauvre mère. Moi, j’en ai eu deux. Ils sont gentils. Ils ont soixante-quatre ans et soixante-quatorze ans et moi quatre-vingt-quatorze ans. On a vingt ans avec mon garçon !

Vous avez habité Ollioules avec tes parents ?

Oui, quand mon père est entré à la Pyrotechnie. Il faisait les voyages, en haut et tout. Alors, je sais pas comment ça s’est décidé. Je sais pas le fin fond de l’affaire. Je me rappelle qu’on est venu habiter à Ollioules. A la sortie d’Ollioules, il y a un pont. La première maison, là. On est venu là. Quand je passe là, je dis : «  Ça c’est la maison du bonheur ! »

J’étais contente d’être au village. J’allais à l’école. A la Migoua, ça faisait loin. Il fallait traverser la colline pour monter à l’école en haut. Après je suis allée au catéchisme. J’ai fait la communion. A Ollioules ça été l’apothéose ! Voilà, pour moi !

Et là, tu avais quel âge à Ollioules ?

Quand je suis venue à Ollioules, j’avais presque dix ans. On est venu au mois de septembre et j’allais avoir dix ans à Noël.

Et ton mari, tu l’a rencontré comment ?

A l’école de la Migoua. C’était mon voisin ! Mon mari, il m’a vue dans le berceau ! Comme ça, il me connaissait bien ! C’est une belle histoire d’amour avec mon mari. Parce-qu’après il est parti pour l’Allemagne, à peine on commençait un-peu à se regarder. Et hop, il est parti pour l’ Allemagne (prisonnier de guerre) ! Ça été très dur ! Puis il est revenu et il venait prendre l’apéritif avec mon père et il venait pour moi, quoi ! Mais j’ai été heureuse avec lui ! Ma mère me disait, tu as un mari en or ! Elle était contente de voir que j’étais heureuse ! Une sainte ma mère ! Dix enfants ! Attentionnée pour ses enfants ! (l’hiver) « Ne sortez pas, il fait froid ! » (L’été) « Mettez-vous le chapeau, ne sortez pas au soleil sans le chapeau ! »

Maman comme Titine (ma grand-mère), pareil ! Titine, mon Dieu ! Dix enfants !

Et pour l’alimentation, vous aviez des lapins ?

Des lapins, des poules, les œufs qu’on gardait précieusement pour faire des omelettes. On avait des légumes au jardin.

J’aime bien parler des choses d’avant.

Et oui, maintenant c’est tellement un autre monde…

Avant … les jeunes, ça les intéresse pas.

Les jeunes sont pris dans le tourbillon de la vie. Peut-être que toi tu t’en moquais de la vie de tes grands parents quand tu étais jeune ?

Non, pas du tout ! Ma grand-mère, oh là, là ! Ma grand-mère, c’était mes yeux ! J’étais jeune, je me rappelle on habitait à la campagne, chez ma belle-mère, du côté des Playes, là-bas. Je venais à pied avec mon petit au bras, pour faire le ménage à ma grand-mère et passer la journée avec elle. Elle avait beaucoup fait pour ma mère alors j’en étais reconnaissante. Et même quand je vais au cimetière je porte des fleurs et ça fait soixante-dix ans qu’elle est morte.

La famille de mon papa allait à Bandol, l’été, avec le mulet et la charrette. Est-ce que vous y alliez aussi ?

Oui, mais à pied. De derrière le Gros Cerveau à Bandol à pied. Et des fois, les petits, peuchère, on les menait et des fois au retour on les portait au bras ! A Bandol, on restait quatre heures dans l’eau, on remontait et le lendemain on devait se lever tôt pour aller travailler dans les vignes.

(Marcelle me montre la photo de son grand-père au Cercle du Canadeau.)

Qu’est-ce-que c’est le Cercle du Canadeau ?

Le Canadeau, bon , tu vois la maison Zunino ?

Oui.

L’école, tu descends, tu marches un petit peu et soit tu vas vers le Beausset soit vers Le Val d’Aran. Et là, il y a un chemin qui va vers le Canadeau. C’était une vieille maison où mon grand-père avait monté le cercle. Alors le dimanche les hommes allaient jouer au boules, ils allaient boire. Après il y avait la fête pour l’Ascension. Et c’était pas une petite fête ! Il y avait du monde ! C’était quelque chose ! On avait la toilette neuve pour la fête au Canadeau !

La conversation s’est terminée dans la joie et la bonne humeur. Merci Marcelle pour ce doux et gai moment passé en ta compagnie. Nous avons remonté le temps et ce fut un bonheur ! Je n’ai pas noté les phrases que tu as prononcées en provençal. C’est une belle langue que je devrais apprendre. Alors pour la fin, voici un petit proverbe :

Es riche qu pou, urous qu saup, sage qu vau.
Est riche qui peut, heureux qui sait, sage qui veut.

Claudie Zunino-Cartereau

*Prix Cognacq-Jay : “Le prix Cognacq-Jay a été créé en 1922 grâce à un don de 20 000 francs or donné à l’Institut de France, ce qui permettait de récompenser annuellement 300 familles nombreuses, ayant au moins cinq enfants, souvent beaucoup plus. Par exemple, en 1928 à Perpignan, le père d’une famille de onze enfants reçoit un prix de 25 000 francs (15 000 euros de 2016).” source Wikipédia

2 réflexions sur « Conversation avec Marcelle »

  1. Il est très rare de rencontrer des personnes de son âge aussi énergiques, positives et d’une vivacité d’esprit incroyable ! Vive Nonna !

  2. J’aime beaucoup Marcelle ! Nous, avec Michelle, on lui dit “Nonna” comme : “grand-mère” en Piemontais. C’est une belle personne, bienveillante, toujours joyeuse et positive malgré son grand âge ! Elle a traversé des épreuves , elle n’en est que plus vivante ! Elle chante en provencal, elle parle cette langue dont elle est parmi les dernières à l’avoir entendue dau breç ( depuis le berceau). Tant de soirées et de rires partagés avec elle !
    Lònga mai Marcelle !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *