Un été brûlant dans les Maures. Sommes-nous pompiers ou pyromanes ?

CONFÉRENCE (week-end du Chêne Liège les 9 et 10 octobre 2021 au domaine de Baudouvin à La Valette du Var) sur la régénération post-incendie de Jean-Laurent FELIZIA, ingénieur paysagiste, spécialiste du biome méditerranéen.

Le chêne liège a une présence dans nos paysages et notamment dans les Maures, l’un des premiers massifs à être apparu parmi d’autres il y a de cela 250 millions d’années. Il a donné lieu à une typologie de paysage dans lequel s’épanouit le chêne liège qu’on peut retrouver dans le massif des Corbières (sud ouest de la France) mais aussi au Cap Corse, au Portugal, en Tunisie, au Maroc, en Algérie. C’est une plante emblématique qui n’appartient pas qu’à la méditerranée occidentale. Ce liège et l’arbre qui le porte ont coévolué avec le feu. Quercus suber (chêne liège) est un acteur du paysage auquel il appartient. Ce paysage a toujours été soumis à rude épreuve par l’élément feu (le feu est un élément comme le sont l’eau et l’air). En posant la question : “Sommes-nous pompiers ou pyromanes ?” apparaît le dilemme de savoir si face à un feu, on doit s’émouvoir, pleurer toutes les larmes de son corps ou bien, si on peut à un moment donné, lâcher cette émotion pour avoir un petit peu plus de pragmatisme et se dire que ce feu là, sauf bien évidemment s’ il a porté atteinte à des vies humaines, à des habitations, ne peut pas être un élément qui vient régénérer le maquis puisque c’est de ce type de paysage dont on va parler aujourd’hui.

Les Maures, territoire de feu

Le 16 août dernier, sur l’aire des Sigues à Gonfaron, un incendie d’origine sans doute criminelle ou peut-être par maladresse qui s’est faite criminelle, démarre vers 17 h 44 et le trafic est encore très important sur l’autoroute qui relie Hyères au Cannet des Maures. Ce feu va parcourir environ 7 000 hectares en moins de huit heures. On relate sa présence sur la commune de la Croix-Valmer sur les coups de 2 heures du matin. Il aura parcouru sept communes administratives. Pour celles et ceux qui connaissent la réserve nationale de la plaine des Maures, c’est un peu plus des 3/4 de cette réserve nationale qui a été parcourue par le feu. J’insiste sur les mots qu’il faut employer :”parcourue par le feu” et non pas “dévastée” ou “ravagée” ou “saccagée” comme les médias ont pu le dire pendant des heures et des heures en continu sur les chaines d’info. Si les émotions nous rejoignent face à ces événements naturels qui peuvent devenir une catastrophe écologique, il faut savoir que quelquefois nous sommes un peu instrumentalisés par les médias.

C’est un feu très rapide parce que la sécheresse depuis bientôt deux ans se fait très prégnante. Depuis fin 2019, le massif des Maures, à quelques exceptions près quand il y a des épisodes d’orage cévenol, n’a enregistré que 300 à 350 mm d’eau par an. C’est équivalent à la pluviométrie de l’Atlas au Maroc autrement dit de quelques villes comme Ouarzazate où évoluent des paysages très clairsemés qui ne sont même plus des maquis ou des garrigues mais des steppes désertiques. Cette sécheresse n’arrange rien pour la rapidité du feu. L’hydrométrie, ce jour là est à 14 % (c’est très, très bas). Le vent est très violent. C’est un vent d’ouest qui va pousser les flammes depuis l’autoroute vers le sud et il intervient la nuit c’est à dire au moment où les secours ne pourront plus avoir l’appui des moyens aériens. La France comme la Grèce sont des pays dotés de canadairs en nombre assez important (même si le nombre de ces canadairs est de moins en moins efficient car il en faudrait désormais beaucoup plus). Ces moyens sont exemplaires puisqu’au plus fort de la nuit les pistes demeurent encore intactes avec ces traces qu’ont empruntées les différents secours, camions, jeeps et autres véhicules. 14 000 personnes seront présentes sur le massif pour pouvoir atteindre ces feux plus de cinq jours après. Il y avait plusieurs foyers à circonscrire. Il fallait maîtriser puis fixer puisqu’il y avait toujours du vent.

Je disais tout à l’heure que le relais qu’auront fait les médias de cet événement est quelquefois très décalé. En tant que militant écologiste, j’ai parfois été appelé à émettre des commentaires et chaque fois que j’ai voulu apporter un commentaire plutôt apaisé on me disait d’appuyer car quand même ça a brûlé car on est pas en face d’un petit feu. On voit bien dans la nature de l’information telle qu’elle est relatée que le massif des Maures a été dévasté par un incendie, ravagé par les flammes. En face de ces informations, nous ne pouvons que nous incliner. On manque totalement de libre arbitre et de capacité à débattre en toute liberté face à un élément naturel qu’est le feu qui d’un seul coup prend possession de la biomasse.

Vous devez penser que j’essaie de vous dire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Pas du tout. A partir du mois de mai les médias nous disaient que les feux étaient partie prenante un peu partout sur le pourtour méditerranéen. Ça a commencé en Grèce; c’est parti dans le Maghreb; il y en a eu en Espagne. Des paysages de plus de 25 hectares ont été parcourus par les flammes. L’institut qui gère les statistiques concernant les incendies, la nature des feux, leur importance et surtout leur importance par rapport à l’évolution du climat a pris soin de relever quelques écarts de température. A Kairouan il a fait 50,3 ° le 11 aout, à Syracuse il a fait 48, °, à Montero en Espagne 45 ° mi-août . Il y a une corrélation à faire avec ce climat qui évolue, qui est en train d’élargir l’amplitude des saisons dites sèches. On le voit aussi à travers les pluviométries qui évoluent à la baisse, la biomasse, les paysages. Leur évolution est en mutation et va être de plus en plus en prise avec les incendies qui feront évoluer nos paysages.

On pourrait changer le prisme du traitement de l’information en disant ça a brûlé mais non pas parce que quelqu’un a jeté à l’aire des Sigues un mégot, non pas parce que l’on n’accepte plus les pyromanes en HP parce qu’on les a tous fermés mais bel et bien parce que le paysage est en train d’évoluer et devient de plus en plus inflammable.

On peut aujourd’hui dire que le biome méditerranéen c’est à dire la somme des éléments naturels et climatiques qui forment ces paysages propre à un type de paysage méditerranéen qui peut être le chaparral en Californie, le fine bush en Afrique du sud, le bush en Australie, concourent tous à une typologie assez commune : des étés chauds et secs, des hivers doux, frais et humides et donc deux saisons (une bonne c’est à dire celle où les touristes devraient venir en hiver et une exécrable c’est à dire l’été au moment où ils viennent tous). Ce climat méditerranéen est là pour constater aussi que les Maures comme d’autres territoires sont des territoires de feu. Il n’y a pas de régulation nouvelle dans la présence du feu dans le massif des Maures. Mais on a jamais vu ça comme cette année. La moyenne des feux sur le pourtour méditerranéen c’est entre 2008 et 2020, 180 000 hectares. Sur le pourtour Méditerranéen par an il brûle 180 000 hectares. Cette année, il en a brûlé 430 000 ! Et il faut faire la corrélation avec les températures insensées qu’on a pu croiser dès le mois de juin en Egypte, au Liban, en Syrie, en Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal, au Maroc, en Algérie etc…On a donc cette corrélation avec un climat qui change et un feu qui occupe un espace de plus en plus grand. Le massif des Maures occupe à peu près 160 000 hectares. Je dirais que ce ne sont pas 7 000 hectares qui vont rayer de la carte le massif des Maures. Il y a eu des victimes dans cet incendie, deux personnes.

On sait qu’un maquis met trois à quatre ans pour reprendre une physionomie normale.

Régénération naturelle de la forêt des Maures

Ce feu existe depuis la nuit des temps, hommes ou pas hommes, dès lors que les paysages ou les écosystèmes se referment. Nous observons sur le schéma, un maquis qui a brûlé entre six et huit ans avant et qui est passé par plusieurs phase depuis l’apparition de cette énorme biodiversité. Lorsqu’un maquis, comme les sept ou huit écosystèmes de la réserve des Maures, est parcourus par les flammes, la biodiversité s’est réduite au fur et à mesure du temps. Un feu relance la biodiversité. Le feu lorsqu’il passe, ouvre le milieu. Là où il y avait quinze espèces au m², dès lors que ce feu est passé, il en rejailli à peu près quarante et ces quarante vont être présentes dans le milieu entre trois et cinq ans jusqu’au moment où ce milieu va se refermer et où on retrouvera une biodiversité ordinaire, assez petite, peu dense, peu importante.

Le couloir de feu dans le massif des Maures

Est-ce qu’on ne pourrait pas un jour associer toutes les bonnes volontés, pas que les pompiers mais aussi des syndicats forestiers, des collectivités locales et territoriales, des géologues, des naturalistes, des entomologistes (ils étudient les insectes), des herpétologistes (ils étudient les tortues, les serpents, les lézards…), des botanistes, etc…pour qu’à un moment donné on ne se dise pas à chaque fois : “Ça a encore brûlé là!“. 1979, plus de 6 000 hectares, le même parcours à quelque chose près. La seule chose qui change c’est que ça se rétrécit un peu car les pourtours des anciens feux ont été remplacés par l’étalement urbain. Les Obligations Légales de Débroussaillement n’ont pas été respectées. On n’a pas débroussaillé dans la réserve naturelle nationale du massif des Maures. On peut regarder les plans locaux d’urbanisme. A un moment donné, les pompiers ne viennent pas pour défendre la forêt, et même l’ONF n’est pas là pour défendre la forêt. L’ONF défend du bois, les pompiers défendent des habitations. Et on met des habitations dans des couloirs de feu avérés qu’on connait depuis des décennies ! On sait que le feu passera par là, qu’il soit criminel ou pas. Effectivement on peut déplorer à chaque fois, la même nature de catastrophe. 6 033 hectares en 79. Vingt quatre ans plus tard 3 000 hectares et pas tout à fait vingt ans plus tard 7 000 hectares, le même ! Peut-être qu’on se pose les fausses questions et qu’on n’apporte jamais les vraies réponses.

Les fausses questions et les vraies réponses

Je vais ouvrir avec vous le débat. Avez-vous des questions ?

_ Après l’incendie donne-t-on libre cours au reboisement naturel ou des personnes sont-elles appelées pour replanter des arbres ?

Jean-Laurent Félizia

En principe, en France, on voit que les dynamiques de populations végétales se remettent en place par rapport au passage du feu. Une première strate de végétation se remet en place. Les plantes de milieu méditerranéen sont toutes des pyrophytes; ce sont des plantes qui vivent avec le feu. Le pin est une pyrophyte active. Quand le feu passe, sa pomme de pin est projetée loin du pied mère (le pied mère a empêché la germination de la pomme de pin pendant tout le temps qu’il était là); le cyste est une pyrophyte active aussi. Sa capsule va exploser, non pas à cause des flammes et de la température mais d’une molécule. Finalement cette régénération n’a pas besoin de l’action de l’homme. Sauf si on entreprend une autre façon de gérer le milieu naturel. Mais si on attend une cicatrisation, cette cicatrisation se fait en moins d’un an. D’abord parce que toutes ces graines qui étaient en dormance vont lever et pas forcément parce qu’il aura plu ou pas plu tout de suite. Donc ce gaspillage d’argent public peut-être assez énervant ! Là où on devrait travailler sur la gestion des fleuves ou des ruisseaux temporaires, là où on devrait travailler sur l’érosion parce que justement on a fait du mal en voulant travailler de manière artificielle sur la revégétalisation des couverts végétaux incendiés. On a, en réalité, pratiqué ce qu’on appelle une érosion accélérée. Ecraser le milieu ce n’est pas satisfaire sa capacité à régénérer. Un maquis n’a pas besoin de nous.

_ Vous avez dit que le climat évolue. Ça nous emmène vers où ? Quels sont les priorités par rapport aux enjeux nouveaux ?

JL F

A mon avis, on ne s’est pas assez emparé des données scientifiques. De nombreuses études ont eu lieu depuis quarante ans sur les capacités de certaines plantes à repousser le feu. Ça aurait pu complètement nous aider à modifier notre pensée collective sur des idées reçues. Par exemple, tout le monde croit que le cyprès à côté d’une maison c’est une torche. A l’approche d’un feu, un cyprès dégaze car il va repousser son inflammabilité au plus loin. Une étude menée par un botaniste à Montpellier montre à quel point aujourd’hui on pourrait travailler des ceintures périurbaines avec à la fois du sylvopastoralisme mais aussi une replantation de ceinture végétale beaucoup plus adaptée à ralentir le feu et à le laisser s’approcher des zones urbanisées à défendre.

L’éducation à l’environnement est importante pour arrêter de mettre de l’eugénisme dans le règne végétal. Si on parcours l’essentiel du règne végétal qui orne à la fois nos jardins voir peuple les alentours de nos jardins, on n’a à peu près que 5 % de plantes indigènes. Le figuier n’est pas de chez nous. L’olivier a été importé. Le pin parasol, c’est les romains, le cyprès c’est les perses. Finalement, il n’y a pas beaucoup de plantes indigènes à part l’arbousier, le chêne vert, le pistachier lentisque. Ce symbole là, met aussi en exergue, qu’à un moment donné, face aux hommes, il va falloir que l’on se calme par rapport à cette ardeur identitaire. Les invasives, si elles ne nuisent pas à des niches écologiques vulnérables, sont essentielles aujourd’hui pour répondre à la mutation de ces paysages. On sait à quel point aujourd’hui les plantes voyagent vite, par tentation commerciale, par la démocratisation des jardins. On fait rentrer des tas de plantes sans se poser la question de savoir si on n’amène pas de parasites avec, s’il y aura des prédateurs. On l’a vu avec le charançon du palmier, avec la cochenille de l’olivier. On le voit avec tout un cortège de plantes dont la nature essentielle est de nous faire plaisir pour nos jardins mais impactent les milieux naturels. C’est là où il faut être attentif. Ça va plus vite que nous. Et il faut être observateur de ce qui va être la solution biomasse, la solution puits carbone, la solution à rafraîchir l’atmosphère. Les villes qui s’emparent de politique de revégétalisation sont en train de préparer des qualités de vie dans les vingt ans à venir qui seront supérieures à celles des villes qui n’auront fait que du minéral sur leurs places, leurs esplanades ou leurs trottoirs. Donc c’est ça les enjeux !

_ Quelles espèces végétales serait-il intéressant de développer dans le milieu méditerranéen ?

JL F

Je vous dirais toutes et aucune. Chaque contexte doit faire l’objet d’une attention particulière. On ne peut pas sortir un catalogue qui marchera partout. C’est pour cela que OLD Obligation Légale de Débroussaillement c’est un texte de loi, Mais le feu a besoin de “bouffer”. On peut le voir dans certains cas de figure comme en Californie où l’on plante des ceintures végétales d’agaves sur plusieurs kilomètres pour empêcher le feu de sauter depuis les zones du chaparral. A Gonfaron, 850 m de vignes n’ont pas suffit au feu pour l’empêcher de passer au delà. Il y a l’effet pyrolyse où l’air tout entier peut s’enflammer et qu’importe qu’il y ait des oliviers ou des cacahouètes ou de la vigne, le feu continue avec des braises, avec l’incandescence des bouts de bois qui volent, les oiseaux qui véhiculent le feu… Il n’y a pas de réponse à ça. Il y a un littoral, des lignes de crêtes, des fonds de vallons, des ruisseaux temporaires, des sols profonds, des courants d’air. Tout cela mérite à chaque fois de contextualiser la palette végétale qui convient le mieux, voir même l’activité humaine qui peut être réintégrée dans le milieu pour servir pertinemment et ralentir la progression du feu.

_ Que penser des contre-feux ?

JL F

Ces contre-feux, tels que l’inconscient collectif les véhicule, concernaient des gens qui pratiquaient la colline, qui l’habitaient même, qui la faisaient même vivre au sens où eux l’entendaient c’est à dire dans une agroécologie de l’époque. Il y avait la pratique de l’éclaircie qui favorisait le pâturage. Je l’ai vécue petit avec mon grand père; avec ses moutons on allait brûler les rives. Les rives c’est à dire les ruisseaux, les fossés. On le faisait au mois d’avril-mai juste avant l’estivation et la chaleur qui arrive. Avant de faire partir les moutons en transhumance il fallait leur donner cette petite herbe. C’était du côté d’Aix en Provence. Mon grand-père avait un petit bâton, on mettait le feu. Et avec le bâton il calmait et dirigeait le feu. Les gens pratiquaient, connaissaient et étaient intégrés entre nature et culture dans la forêt. Ça peut être quelque chose de pertinent mais ce n’est pas une règle d’or. Il faut l’adapter en fonction de ce que l’on fait du milieu naturel, si on veut le domestiquer, l’anthropiser ou le laisser dans l’état de sa dynamique naturelle. Le problème c’est qu’on s’est mis à distance de la colline, du maquis, de la garrigue et aujourd’hui on regarde cette colline, lorsque ça brûle, comme un catalogue avec des icônes et une rétrospective qui échappent à la réalité. Il faudrait réintégrer la vie de n’importe quel milieu naturel et se poser les vraies questions : savoir si on veut l’habiter ou le garder comme un objet de la société du spectacle.

Je veux revenir sur la dernière question, climat et feu. Il faut faire vite malheureusement. Moi qui suis paysagiste et qui observe ce paysage depuis à peu près trente ans, je pensais que cette période ne permettait pas de saisir les changement de typologie de paysage, de physionomie ou même de palette végétale. Or sur des milieux qui n’ont pas forcément exercé leur dynamique naturelle de population, autrement dit qui ne se sont pas forcément fermés, je pense notamment au littoral, un littoral qui part de la frontière italienne jusqu’au delta du Rhône, aujourd’hui, on a une végétation qui est en train de faire basculer le paysage comme celui qu’on peut voir sur le rocher de Gibraltar. On a un appauvrissement de la biodiversité par le climat. Donc on va avoir sans doute des problèmes d’érosion. Cela pose la question de ce l’on attend de ces paysages périurbains sur le littoral. Si on laisse ces paysages évoluer tels que ou si on réintègre une activité humaine avec une exploitation artificielle de l’élément bois, de l’élément liège, de l’élément arbouse, de tous ces éléments à la fois ressources naturelles et économiques. Sur le littoral ça va beaucoup plus vite qu’ailleurs. A l’intérieur des terres, ça n’a pas encore basculé. Parcourez les forêts entre les Maillons, la Garde Freinet, Pignans, Besse, Gonfaron. De même quand on est au niveau de St Maximin, tout le coin de Taverne, Aups, le confins des Gorges du Verdon, ça reste encore assez équilibré. Là, les milieux ont peu bougé depuis trente ans. Sur le littoral et c’est ce que prédit le GIEC, c’est cette latitude qui va correspondre à une bascule de la montée de la désertification depuis la Méditerranée orientale à la Méditerranée occidentale.

_Cette désertification va-t-elle continuer ?

JL F

Je le pense. J’ai parlé du règne végétal et je n’ai pas parlé du règne animal. Souvent le règne animal anticipe le règne végétal. Et on a déjà relaté et recensé la présence d’insectes, d’oiseaux migrateurs qui se sont sédentarisés dans des zones où avant ils n’étaient là que pour transition. Par exemple la chenille processionnaire du pin. Autrefois sa limite nord était Valence, Montélimar. Aujourd’hui, on la retrouve en Forêt Noire. Cela prouve que les limites de température ont bougé. Le règne animal a commencé a transhumé et cela augure de ce qui va se passer avec le végétal.

Il faut intégrer que nous sommes reliés à tout cela et que nous ne sommes pas des acteurs dissociés. Si jamais nous ne prenons pas la mesure de cette évolution nous serons tributaires de ce changement, y compris sur la gestion de nos quotidiens. Regardons les grands platanes devant la salle de conférence. Chacun est là pour capturer 30 tonnes de carbone par an. Si vous les coupez, vous n’avez plus l’ombre portée de ces arbres et le bâtiment pourtant bien construit en murs épais n’est plus géré quant à sa régulation de température. Pour répondre à la question, ça va beaucoup plus vite et les 1,5 ou 1,8 ° prévus par le GIEC, malgré toutes les mesures qu’on pourrait prendre c’est “makach walou”. Il va bien falloir qu’on vive tous ensemble. Il faut arrêter de s’émouvoir en face de 7 000 hectares qui brûlent parce que ça a toujours existé. Il faut arrêter l’étalement urbain ou la lutte à contre nature de ce feu et prendre le taureau par les cornes!

_ On éteint souvent le feu avec les canadairs. C’est de l’eau salée. Est-ce-que cela a un impact ?

JL F

Non. Ni les retardants d’ailleurs qui sont là avant tout pour sauver les colonnes de pompiers et permettent l’évacuation des secours quand ils sont pris en étau dans les flammes. L’eau de mer n’a pas d’impact réel sur la végétation de manière pérenne. Le sel s’évapore.

_Quand ce sont de grands arbres qui brûlent, ce doit être préjudiciable pour nous ?

JL F

Notre rapport au temps quand on voit un grand sujet brûler est émotionnel. En fait, un sujet âgé, n’est plus capable de produire de la semence, ne sert à rien sinon à nourrir les insectes xylophages et nécrophages. Si vous avez vu le film, L’intelligence des arbres avec le forestier Peter Wohlleben, celui-ci dit que les arbres communiquent entre eux. J’ai rencontré Peter et il m’a dit qu’à un moment donné un arbre qui se sent en fin de vie et commence à avoir des signes d’oxydation, des branches nécrosées, de la pourriture, c’est en fait autant de signaux aux insectes pour leur dire “Venez me manger, parce qu’il faut ouvrir le milieu pour toutes les graines qui attendent depuis des décennies”. Un eucalyptus produit entre 200 et 300 millions de graines par an à vingt-cinq mètres de hauteur. Donc chaque année ces graines là, qui tombent au sol, ne germent pas. Par contre le jour où cet eucalyptus meurt, c’est la guerre de l’héritage et de la transmission. Cet arbre vieux qui va brûler, oui, effectivement c’est du temps qui brûle mais ce n’est pas une fin en soi. Au contraire, c’est l’ouverture du milieu et le testament est ouvert.

_ Et si les pompiers n’intervenaient pas ?

JL F

C’est ce qui se faisait à un moment donné, lorsqu’il n’y avait pas ces moyens là. Aujourd’hui, on ne peut pas mieux faire. Vous avez des vigies, des tours de contrôle, des avions qui font le tour de l’ensemble du littoral méditerranéen pour relever la première fumerole puisque ce sont les vingt à trente première minutes qui comptent. Il y a cinquante à soixante ans, les pompiers rentraient dans le feu et allaient attaquer le feu. C’est fini. Ils se mettent là où ils peuvent attendre, une crête, là où le feu ralentit, les limites périurbaines. Si les pompiers n’intervenaient pas, les zones urbanisées mal placées brûleraient. Si aujourd’hui les moyens sont dépêchés sur place, c’est avant tout pour défendre les zones urbanisées, les personnes et les biens. Mais s’il n’y avait que de la nature à brûler, le feu ne s’arrêterait jamais jusqu’à la mer.

_Pourquoi le feu prend-il toujours au même endroit ?

JL F

On parle de couloir de feu dans ces cas là. Ce sont des conditions d’effet venturi. C’est cette espèce d’aspiration qui peut se faire par un courant. C’est la configuration, le relief de la nature tel qu’il est à cet endroit là, qui favorise le parcours du feu. Nous, dans les Maures du côté du Lavandou et de Bormes, on a aussi ces couloirs de feu que les vieux appelaient tout le temps de leurs vœux à ne pas construire, à ne pas pâturer là, à ne pas chasser là, parce que si un feu démarrait il ne fallait pas y être. Il y avait cette connaissance du feu car il était déjà passé à plusieurs reprises.

Propos de Jean Laurent Félizia recueillis par Le Débatteur lors de sa conférence.

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